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Les industries culturelles africaines : l’or sous nos pieds ?

Il y a quelque chose d’ironique à observer les chiffres des industries culturelles et créatives (ICC) en Afrique. Alors que les artistes africains captivent les scènes mondiales – Burna Boy en tête des festivals, Nollywood séduisant des millions de spectateurs, ou encore les créateurs de mode qui illuminent les podiums de Paris à New York – le continent ne représente qu’1 % de l’économie mondiale des ICC. Oui, 1 %, face à un marché de 2 300 milliards de dollars. De quoi rester songeur…

Pourtant, une lueur d’espoir se dessine. La Banque africaine d’import-export (Afreximbank) a annoncé un fonds annuel de 2 milliards de dollars pour booster les ICC africaines. Une annonce qui suscite l’enthousiasme, mais aussi une certaine prudence. Car financer est une chose, mais structurer un écosystème en est une autre.


Un secteur prometteur… mais sous-exploité

Quand on parle des ICC africaines, on pense immédiatement à la musique, au cinéma, à la mode ou encore au jeu vidéo. Ce sont des secteurs riches en potentiel, soutenus par une jeunesse hypercréative et connectée. Mais la réalité est souvent moins glamour. Malgré leurs efforts, de nombreux artistes peinent à vivre de leur talent.

Prenons Nollywood, la seconde plus grande industrie cinématographique au monde en termes de volume. Les chiffres de production sont impressionnants – environ 2 500 films par an – mais l’écosystème est fragilisé par des problèmes de distribution, un piratage massif et un manque cruel d’infrastructures modernes. Résultat : des revenus loin d’être à la hauteur du potentiel.


Les investissements, une solution ? Pas si vite…

L’annonce d’Afreximbank est un signal fort. Un investissement à cette échelle a le potentiel de transformer le secteur. Mais posons-nous une question simple : cet argent suffira-t-il à résoudre des décennies de sous-investissements ?

Premier obstacle : les infrastructures. En Afrique, rares sont les studios de production à la pointe de la technologie. Nombreux sont les artistes qui doivent s’exiler pour enregistrer dans des conditions professionnelles, ou encore les cinéastes qui doivent bricoler pour donner vie à leurs projets.

Deuxième défi : le cadre juridique. Un artiste ne peut prospérer si ses œuvres ne sont pas protégées. Pourtant, le respect des droits d’auteur reste une bataille quotidienne sur le continent. Sans parler du manque de politiques publiques adaptées, qui pourraient structurer ces industries de manière pérenne.

Troisième frein : l’accès aux marchés. Si les produits culturels africains séduisent à l’international, ils peinent encore à s’exporter à grande échelle. Les réseaux de distribution et de promotion font cruellement défaut.


Une théorie pour éclairer le débat

Là où les chiffres peinent à convaincre, la théorie offre quelques pistes. Les experts du développement économique insistent sur une approche systémique. En d’autres termes, injecter de l’argent ne suffit pas : il faut accompagner ces financements d’une véritable transformation structurelle.

L’UNESCO, dans ses rapports sur les ICC, souligne l’importance des politiques culturelles intégrées : des cadres réglementaires solides, des infrastructures adaptées et des programmes de formation pour les acteurs du secteur. Sans cela, les financements risquent de s’évaporer sans impact durable.


Le cas du jeu vidéo : une métaphore du potentiel africain

Si un secteur symbolise à la fois le potentiel et les défis des ICC africaines, c’est bien le jeu vidéo. Des studios comme Kiro’o Games au Cameroun ou Maliyo Games au Nigeria se battent pour raconter des histoires africaines à travers le gaming. Le marché est en pleine croissance, avec des revenus projetés à 1 milliard de dollars en 2024. Pourtant, les mêmes obstacles reviennent : manque de financement, difficultés d’accès aux talents qualifiés, et faiblesse des infrastructures.

Mais ce secteur montre aussi une voie à suivre. En connectant créativité locale et technologie, le jeu vidéo prouve que l’Afrique peut devenir un acteur majeur dans les ICC, si les conditions sont réunies.


Une Afrique créative, mais entravée

Alors, que retenir ? Les ICC africaines regorgent de talents et d’opportunités. Mais pour transformer ce potentiel en moteur de développement économique et social, il faut aller au-delà des financements.

Renforcer les infrastructures, protéger les artistes, structurer les écosystèmes : c’est un travail de longue haleine, mais nécessaire pour que l’Afrique prenne sa juste place sur l’échiquier mondial des ICC.

En attendant, les créateurs africains continuent de faire rayonner le continent, malgré les obstacles. Et c’est peut-être là la plus grande leçon : le talent, lui, ne demande qu’à être libéré.


Sources

  • Afreximbank : Annonce du fonds de 2 milliards de dollars pour les ICC africaines, 2024
  • UNESCO : Rapport sur les industries culturelles et créatives
  • Agence Ecofin : « Les industries créatives africaines attirent enfin les financements »
  • Forbes Afrique : « L’essor des industries créatives africaines »
  • Étude sur les ICC africaines : SFSIC et UNESCO