Posts tagged AFRIQUE

Publicité numérique en Afrique : pourquoi les PME n’osent pas investir

Beaucoup de clics, peu de cash

En avril 2018, le YouTubeur nigérian Tayo Aina a connu un succès fulgurant avec une vidéo virale (1,1 million de vues) sur le concert du rappeur J. Cole à Lagos. Sa récompense financière ? À peine 132 $ versés par YouTube​ (fastcompany.co.za). Oui, seulement 132 dollars, une somme dérisoire qu’un créateur occidental aurait multipliée au moins par dix pour le même nombre de vues​. Ce contraste frappant illustre un problème criant : sur YouTube, Facebook, TikTok et consorts, les créateurs africains engrangent les « likes » bien plus facilement que les revenus. Un célèbre adage du web – « les likes ne paient pas les factures » – semble hélas plus vrai que jamais sous les tropiques.

Prenons une anecdote plus piquante encore : au Cameroun, le gouvernement a instauré en 2024 une taxe de 5 % sur les revenus des influenceurs en ligne, partant du principe que ces derniers « engrangent des profits importants »​ (sikafinance.com). La mesure part d’une intention louable (élargir l’assiette fiscale), mais elle a de quoi faire sourire ironiquement bien des créateurs camerounais dont les “profits importants” se transforment souvent en miettes une fois convertis en francs CFA. Cela soulève une question de fond : pourquoi la monétisation sur les plateformes numériques en Afrique ne paye-t-elle pas encore ?

Dans un continent où plus de 384 millions de personnes consomment déjà des contenus sur les réseaux sociaux (chiffres 2022) et où la population connectée pourrait bondir de 51 % à 87 % d’ici 2030​(fastcompany.co.za), le potentiel est énorme. Pourtant, vloggeurs, tiktokeurs, influenceuses mode ou humoristes du web peinent à tirer des revenus à la hauteur de leur audience. Entre modèles publicitaires peu adaptés, annonceurs frileux et marché local morcelé, la « créateur économie » africaine subit un sérieux décalage. Voyons concrètement les raisons de ce paradoxe, avant d’explorer des pistes pour que talent rime enfin avec argent sous le soleil africain.

Constat : la monétisation insuffisante des plateformes en Afrique

Les plateformes numériques les plus populaires en Afrique – Facebook, YouTube, Instagram, TikTok, voire X (ex-Twitter) – fonctionnent toutes plus ou moins sur le même principe de monétisation : partager avec les créateurs une partie des revenus publicitaires générés par leurs contenus. En théorie, plus vous attirez d’audience, plus vous touchez d’argent. Sauf qu’en Afrique, cette belle mécanique se grippe.

Encadré – Qu’entend-on par « monétisation directe » ?
La monétisation directe sur les réseaux sociaux désigne le fait pour un créateur de recevoir une rémunération proportionnelle à l’audience de son contenu. En pratique, la plateforme reverse une part de ses recettes publicitaires au créateur​ (bestafrica-mag.com). Par exemple, sur YouTube, une partie des frais payés par les annonceurs pour 1000 vues (CPM) est reversée à la chaîne qui a posté la vidéo. Ce modèle est très répandu sur les grandes plateformes, mais son application en Afrique est limitée comme on va le voir.

D’abord, toutes les plateformes n’autorisent pas la monétisation dans tous les pays africains. Loin s’en faut. Par exemple, YouTube n’a officiellement ouvert son Programme Partenaire que dans 13 pays sur 55 sur le continent​. Seuls quelques marchés jugés prioritaires – Algérie, Nigeria, Afrique du Sud, Kenya, etc. – sont éligibles, laissant de côté la majorité des pays africains francophones et lusophones. Sur Facebook, même restriction : seuls l’Égypte, le Maroc et l’Afrique du Sud sont actuellement pris en compte pour les programmes de partage de revenus publicitaires (comme les « in-stream ads »)​. Instagram a beau s’ouvrir davantage, la plateforme ne permet la monétisation que depuis 39 pays africains – ce qui est mieux, mais encore loin d’une couverture totale​. Quant à TikTok, c’est le néant : le réseau social phénomène n’a pas encore lancé son fonds de créateurs en Afrique​. Les seuls TikTokeurs africains qui touchent de l’argent via l’appli sont généralement ceux qui ont créé leur compte depuis un pays occidental éligible​. Enfin, Twitter (X) a annoncé rémunérer les comptes certifiés au nombre de vues, mais verse les sommes via Stripe – un service de paiement inaccessible dans la plupart des pays d’Afrique​. Autant dire que pour le créateur lambda basé à Douala ou Dakar, ces programmes officiels de monétisation sont souvent hors d’atteinte.

Encadré – Monétisation par plateforme (2024) : les chiffres clés 
YouTube : Programme Partenaire ouvert dans 13 pays africains sur 55 (Algérie, Kenya, Nigeria, Afrique du Sud, etc.).
Facebook : Monétisation (publicités intégrées aux vidéos) disponible officiellement dans 3 pays (Égypte, Maroc, Afrique du Sud).
Instagram : Monétisation directe autorisée depuis 39 pays d’Afrique (avec rémunération indexée sur le CPM local).
TikTok : Aucune rémunération directe encore lancée sur le continent (les fonds de créateurs n’existent qu’en Occident à ce jour).
Twitter (X) : Programme de partage des revenus accessible aux comptes certifiés, mais paiement via Stripe non disponible dans la plupart des pays africains.


Une pub qui rapporte peu. Même lorsque la monétisation est possible, le montant des revenus générés en Afrique reste très faible comparé au reste du monde. La raison principale ? Le prix de la publicité, c’est-à-dire ce que paient les annonceurs pour toucher 1000 vues (le fameux CPM), est beaucoup plus bas en Afrique qu’en Europe ou en Amérique du Nord. Selon un rapport de 2024, les annonceurs ne déboursent en moyenne que 2,11 $ pour 1000 vues YouTube en Égypte, environ 10 $ pour 1000 vues en Afrique du Sud, alors qu’ils paient 29 $ au Canada, 33 $ aux États-Unis ou jusqu’à 36 $ en Australie​.

Ce rapport de force défavorable signifie qu’un créateur égyptien ou kenyan peut faire un million de vues et ne toucher que quelques dizaines de dollars, là où un YouTubeur américain en tirerait des centaines. « On peut avoir énormément de vues, mais les revenus ne suivent pas de manière égale selon le pays », résume ainsi John Karanja, un créateur kényan, soulignant l’injustice géographique du système​ (fastcompany.co.za). En clair, cibler un public africain rapporte beaucoup moins que de plaire à une audience occidentale. Pas étonnant dès lors que des YouTubeurs africains comme Tayo Aina envisagent de diversifier leur contenu vers un attrait international : il estime qu’« une même vidéo pourrait rapporter dix fois plus avec une audience américaine » qu’avec son public majoritairement nigérian​. Certains vont jusqu’à produire des vidéos en anglais ou sur des sujets globaux pour attirer des vues mieux monétisées – quitte à mettre en veille leurs thématiques purement locales.


Le règne des partenariats.

Face à ces obstacles, beaucoup d’influenceurs du continent n’ont d’autre choix que de se tourner vers des revenus alternatifs. Comme le résume un rapport, la monétisation directe étant « limitée à quelques pays africains et à des tarifs réduits, les influenceurs locaux se tournent vers les partenariats et contenus sponsorisés »​(bestafrica-mag.com). Concrètement, plutôt que de compter sur YouTube ou Instagram pour les payer, ils négocient des contrats avec des marques, font du placement de produit, organisent des événements sponsorisés ou vendent du merchandising. Par exemple, un instagrammeur populaire en Côte d’Ivoire pourra être rémunéré par un opérateur télécom pour promouvoir une offre, ou une youtubeuse beauté au Kenya recevra des produits d’une marque de cosmétiques en échange de vidéos tutoriels. C’est devenu la principale source de revenus pour beaucoup de créateurs africains​. Cependant, même cette solution de secours a ses limites : d’une part, les marques locales ont peu de moyens (nous y revenons tout de suite), et d’autre part une nouvelle concurrence pointe son nez – celle des « influenceurs virtuels » générés par intelligence artificielle, qui pourraient capter des budgets de sponsoring au détriment des humains bien réels​. (Imaginez la frustration : après les algorithmes, voilà que des avatars numériques risquent de piquer les contrats pub sous le nez des créateurs de chair et d’os !)

En somme, le tableau est clair : les plateformes numériquement dominantes ne valorisent pas encore les audiences africaines à leur juste mesure. Les annonceurs internationaux restent frileux à investir en Afrique, ou du moins ils y investissent des montants sans commune mesure avec d’autres régions du monde. Le marché publicitaire africain ne représenterait qu’environ 5 % des dépenses mondiales du secteur​ (lepoint.fr ) – une broutille à l’échelle globale, et cela se ressent dans les revenus reversés aux créateurs. Tant que la taille du gâteau publicitaire restera modeste sur le continent, la part redistribuée sera elle aussi maigre. Les millions de vues ne se traduisent pas en millions de dollars, loin s’en faut. Ce n’est pas que les Africains créent moins de contenu de qualité (au contraire, la créativité foisonne), ni que l’audience fait défaut (elle grimpe en flèche). Le nerf de la guerre, c’est l’argent des annonceurs, et pour l’instant il coule plus comme un mince ruisseau que comme un fleuve.

Les entreprises locales : des PME sans budget pub en ligne

Si les grands annonceurs internationaux investissent peu en Afrique, on pourrait se dire : « Qu’à cela ne tienne, les entreprises locales n’ont qu’à prendre le relais et acheter des pubs en ligne ! » Après tout, qui mieux qu’une marque africaine pour cibler le public africain ? Sauf que dans la pratique, la demande locale de publicité numérique reste très faible elle aussi. La raison principale ? Le tissu économique africain est composé majoritairement de petites entreprises et d’un vaste secteur informel, qui n’ont ni les moyens ni parfois l’intérêt de se lancer dans des campagnes publicitaires sur Facebook ou Google.

Quelques chiffres pour planter le décor : en Afrique subsaharienne, les PME représentent environ 90 % des entreprises formelles et génèrent jusqu’à 50 % du PIB dans certains pays (entreprenanteafrique.com​; lepoint.fr). À cela s’ajoute une myriade de micro-entreprises informelles (commerçants, artisans, startups individuelles) pour qui la notion même de « budget marketing » est souvent étrangère. Leur priorité ? Survivre économiquement, trouver des clients par des moyens directs et peu coûteux. Dans ces conditions, investir dans de la publicité en ligne n’est pas une priorité, voire pas envisageable du tout.

Plusieurs profils d’entreprises locales cohabitent, avec des approches variées face au marketing numérique :

  • La PME connectée mais prudente : elle a bien une page Facebook et un compte Instagram pour être « dans le coup », publie quelques posts pour ses clients fidèles, mais n’ose pas sponsoriser ces contenus en payant la plateforme. « Boostez cette publication ? » Non merci, elle craint un gouffre financier ou une arnaque. Par exemple, une petite boutique de mode à Abidjan préfère organiser des jeux-concours sur sa page (avec un pagne à gagner) pour attirer des abonnés, plutôt que d’acheter une campagne publicitaire dont elle ne maîtrise pas le fonctionnement. Il y a ici un déficit de confiance et de connaissances : beaucoup de gérants ne savent pas vraiment comment fonctionne la pub en ligne, comment cibler, combien ça coûte, et ils s’imaginent que c’est complexe et réservé aux multinationales. Sans accompagnement, ils n’essaient tout simplement pas.
  • Le commerce traditionnel du coin : son marketing à lui, c’est le bouche-à-oreille, l’affichage local, les prospectus imprimés. Prenons un restaurant populaire dans un quartier de Lagos : il va miser sur ses clients satisfaits qui en amènent d’autres, éventuellement distribuer des flyers dans le voisinage, mais aller faire une pub sur Instagram n’aurait pas de sens à ses yeux. D’autant que sa clientèle n’est peut-être pas massivement active en ligne ou qu’il la touche déjà très bien sans cela. Beaucoup d’entreprises africaines opèrent sur des périmètres géographiques réduits (un quartier, une ville) et jugent plus efficace de rester sur des méthodes de promotion locales et tangibles. La publicité numérique leur semble trop éloignée de leur réalité quotidienne.
  • Les gros poissons à l’ancienne : il existe bien sûr des annonceurs africains de grande taille – banques, télécoms, brasseries, etc. – qui ont, eux, des budgets marketing conséquents. Mais jusqu’à récemment, ces budgets allaient surtout vers les médias traditionnels : télévision, radio, affichage, sponsoring d’événements sportifs… Par habitude et par certitude d’audience, les grandes sociétés sur le continent ont longtemps préféré acheter un spot TV sur la chaîne nationale plutôt que de tester une campagne web. Les choses évoluent (beaucoup investissent désormais le digital), mais on reste en deçà du potentiel. En 2020 en Afrique du Sud, par exemple, la publicité en ligne pesait encore moins que la pub télé​, même si l’écart se réduit. Cette inertie s’explique aussi par le fait que les décideurs en entreprise ne sont pas tous formés au numérique : il faut du temps pour convaincre le directeur marketing de miser sur YouTube quand, depuis 20 ans, il ne jurait que par les panneaux géants à l’entrée de Johannesburg.
  • L’informel invisible : enfin, une grande part de l’économie se fait hors cadre structuré. L’artisane qui vend ses bijoux au marché de Bamako, le chauffeur qui fait du transport à Accra, la coopérative agricole au Bénin… Ces acteurs n’ont pas d’existence « officielle » en ligne, souvent pas de page Facebook pro, et bien sûr aucun budget pour de la pub payante. Pourtant, ils pourraient bénéficier d’Internet (certains utilisent WhatsApp pour communiquer avec les clients, etc.), mais la publicité leur semble hors de propos. Difficile d’en vouloir à quelqu’un qui gagne 100 € par mois de ne pas en dépenser 50 en « Ads »… Dans bien des cas, les canaux alternatifs gratuits ou peu chers sont privilégiés : discussion sur WhatsApp, publication sur des groupes Facebook locaux, petites annonces sur des sites spécialisés (genre Jumia Deals, Afribaba…), partenariat en échange de service avec un influenceur local, etc. Cela permet de se promouvoir sans passer par la régie publicitaire des GAFAM.

Qu’est-ce qui freine autant l’essor de la publicité numérique locale ? On peut pointer plusieurs facteurs :

  • Le coût perçu et le risque. Pour une PME au budget serré, consacrer même $100 à une campagne en ligne peut sembler risqué si le retour sur investissement n’est pas clair. Contrairement à un grand groupe, elle ne peut se permettre d’essuyer un échec marketing. Tant qu’elle n’a pas la preuve concrète que ça marche, elle préfère s’abstenir.
  • Les moyens de paiement. Payer Google ou Facebook Ads nécessite souvent une carte bancaire internationale ou Paypal. Or, dans de nombreux pays africains, les PME n’ont pas facilement de cartes de crédit en devises, ou bien les contrôles de change compliquent les paiements vers l’étranger. Il existe parfois des solutions locales (agences partenaires de Facebook vendant du crédit publicitaire en monnaie locale, intégration de mobile money pour payer les pubs, etc.), mais ce n’est pas généralisé. Ce frein purement logistique peut décourager ceux qui, autrement, seraient prêts à essayer.
  • La portée Internet. Même si l’adoption du numérique accélère, une partie de la population reste hors-ligne ou connectée de façon irrégulière (coût de la data, réseau faible en zone rurale…). Une entreprise qui cible plutôt des personnes âgées ou des milieux ruraux, par exemple, se dira que la pub Facebook ne touchera pas son cœur de cible. Elle préfèrera peut-être une pub radio locale, plus sûre pour toucher son audience réelle.
  • La méconnaissance et la compétence. Le marketing digital requiert un minimum de compétences techniques (ou l’aide d’un prestataire). Beaucoup de petites boîtes n’ont ni community manager, ni personne à l’aise avec la gestion d’une campagne en ligne. Sans accompagnement, le manque de savoir-faire est un vrai obstacle. Les géants du net l’ont compris et ont lancé des formations (Google a formé des centaines de milliers de jeunes Africains aux compétences numériques, Facebook/Meta organise régulièrement des ateliers pour entrepreneurs locaux​ –business-humanrights.org-, etc.), mais l’impact sur le terrain prendra du temps.

Résultat : la majorité des créateurs de contenu africains ne peuvent pas vraiment compter sur un marché publicitaire local dynamique pour les soutenir non plus. C’est la double peine : les annonceurs étrangers les boudent, et les annonceurs locaux sont absents. Un influenceur sénégalais ou congolais ne vendra pas beaucoup d’espaces publicitaires à des PME de son pays, parce que ces dernières n’ont simplement pas le réflexe ni le budget pour cela. Cette situation n’est pas figée dans le marbre, et on voit déjà des évolutions (la part du digital dans les dépenses pub en Afrique augmente chaque année), mais on part de loin. Pour que la monétisation des plateformes « paye » enfin, il faudra stimuler la demande locale. Voyons comment.

Pistes pour augmenter la demande locale de publicité en ligne

Bonne nouvelle : le potentiel de la publicité numérique en Afrique est immense et encore largement inexploité. Les prévisions sont d’ailleurs optimistes : on s’attend à ce que les dépenses de pub en ligne atteignent 5,2 milliards de dollars en Afrique d’ici 2025​ (digismileagency.com), signe qu’un basculement est en cours. Comment accélérer ce mouvement et convaincre plus d’entreprises locales d’investir sur les plateformes numériques ? Voici quelques pistes concrètes :

  • Mettre en avant le ciblage ultra-précis. Là où une affiche dans la rue ou une pub TV « arrose » large, une campagne Facebook ou YouTube permet de toucher exactement la bonne audience. Âge, localisation, centres d’intérêt, langue parlée… les outils de ciblage sont d’une finesse inédite. Il faut évangéliser les PME sur ces possibilités. Par exemple, montrer à un hôtelier ivoirien qu’il peut diffuser sa pub uniquement aux touristes français intéressés par la Côte d’Ivoire, ou à un commerçant de Nairobi qu’il peut toucher les femmes de 25-35 ans à 5 km autour de son magasin. Ce ciblage granulé maximise l’efficacité pour chaque franc dépensé. En vulgarisant ces fonctionnalités (via des tutoriels simples, des webinaires, etc.), on peut démystifier la pub en ligne et la rendre attrayante pour les petites entreprises soucieuses de ne pas gaspiller leur argent.
  • Comparer les coûts avec les médias traditionnels. Beaucoup d’annonceurs locaux surestiment le coût de la pub en ligne. Il serait utile de fournir des points de repère concrets : « Pour X francs, vous touchez Y milliers de personnes en ligne, soit autant que distribuer Z flyers ou passer une petite annonce dans le journal local ». Souvent, les campagnes numériques sont moins chères à portée égale. Par exemple, avec 50 $ de budget, une publicité Facebook peut potentiellement atteindre des dizaines de milliers de vues ciblées dans un pays africain, ce qu’aucune autre méthode ne permet aussi facilement. Présenter des cas d’école chiffrés aiderait à convaincre. Imaginons un encadré officiel : « Une entreprise malienne a investi 100 € dans une pub en ligne et a généré 1 000 clics vers son site, soit un coût de 0,10 € par visiteur – bien moins cher qu’une campagne radio locale ! ». Ce genre d’exemple peut faire tilt chez les entrepreneurs.
  • Sensibiliser et former massivement. On l’a évoqué, le manque de culture digitale est un frein. Il faut donc poursuivre, voire amplifier, les efforts de formation au marketing numérique à destination des entrepreneurs et PME. Les initiatives existent : Google offre des formations gratuites (« Ateliers numériques »), Meta a lancé des programmes comme Boost with Facebook, des agences locales et ONG proposent des coachings en e-marketing… Ces actions méritent d’être étendues dans les langues locales, dans les zones rurales, etc. Pourquoi ne pas imaginer aussi des campagnes de communication grand public pour valoriser la pub en ligne ? Par exemple, un spot télé humoristique montrant un petit commerçant qui triple ses ventes grâce à Facebook Ads, histoire de parler à ceux qui regardent encore beaucoup la TV. Le tout est de créer un climat de confiance et d’envie autour du digital.
  • Adapter les plateformes aux réalités locales. Les acteurs globaux du web doivent, eux aussi, faire un pas vers les annonceurs africains. Cela passe par des solutions de paiement locales (intégrer le mobile money type M-Pesa, Orange Money, dans les options de paiement des publicités, pour que n’importe qui puisse booster une publication facilement sans carte bancaire)​. TikTok, par exemple, gagnerait à accepter des systèmes locaux pour rémunérer ses créateurs ou faire payer ses annonceurs, sans passer par Stripe ou d’autres intermédiaires absents d’Afrique​. Par ailleurs, les plateformes pourraient proposer des petits budgets de départ ou du crédit publicitaire offert aux nouvelles entreprises inscrites, pour leur faire essayer sans risque. Certaines l’ont fait ailleurs, pourquoi pas en Afrique ? Enfin, parler la langue des clients compte : avoir des interfaces en français, en swahili, en hausa, etc., et un support client local pour accompagner les entreprises dans leurs premières campagnes serait un vrai plus.
  • Valoriser les success stories locales. Rien de tel que l’exemple pour inspirer. Il faudrait davantage mettre en lumière les success stories africaines de la pub en ligne. Par exemple, tel jeune entrepreneur sénégalais qui a lancé sa marque de vêtements sur Instagram et exporte maintenant dans toute l’Afrique de l’Ouest grâce aux pubs ciblées, ou telle PME agroalimentaire kényane qui a doublé ses ventes en se faisant connaître via une campagne YouTube bien ficelée. Ces histoires existent (on voit de plus en plus de marques « nées sur Internet » en Afrique). En les diffusant sur des blogs, dans les médias, lors de conférences, on envoie un message clair aux autres : « Vous aussi, profitez du numérique, ça marche ! ».

En résumé, il s’agit de rassurer, éduquer et motiver les annonceurs locaux. L’objectif est qu’ils réalisent que la publicité en ligne n’est pas un coût superflu mais un investissement rentable, adaptable à leurs moyens et à leur clientèle. À mesure que la population en ligne grossit, ignorer Internet deviendra de plus en plus un handicap commercial. Autant prendre le train en marche tout de suite, avec les bonnes clés en main.

Stratégies pour capter les budgets marketing locaux

Augmenter la demande, c’est bien, mais encore faut-il concrètement connecter ces budgets locaux aux créateurs de contenu africains. En clair, comment faire en sorte que l’argent que les entreprises locales commencent à investir en ligne atterrisse (au moins en partie) dans la poche des créateurs et influenceurs du cru ? Voici quelques stratégies et idées, certaines déjà en œuvre, d’autres à imaginer, pour capter ces budgets marketing locaux :

  • Développer les places de marché influenceurs-marchés. Pour qu’une petite marque locale trouve facilement son influenceur idéal, des plateformes se créent. Par exemple, au Sénégal, des agences comme SenInfluenceurs mettent en relation les marques locales avec des influenceurs du pays qui correspondent à leur cible​ (seninfluenceurs.com). Ce genre de place de marché de l’influence facilite grandement la vie des PME : plus besoin de connaître un tel ou d’envoyer des DM au hasard, on peut identifier les profils pertinents (par secteur, par nombre d’abonnés, par zone géographique) et monter des campagnes de contenus sponsorisés sur mesure. Multiplier ces plateformes panafricaines, c’est professionnaliser le secteur et attirer des budgets qui restaient en dehors du circuit jusqu’ici. Travailler avec un micro-influenceur local peut s’avérer bien plus efficace et abordable pour une PME qu’acheter des pubs Facebook sans conseil. Au Cameroun, par exemple, les micro-influenceurs sont devenus une force incontournable du marketing : collaborer avec eux permet aux marques d’accroître fortement leur notoriété et même leurs ventes​. En structurant ces collaborations via des plateformes dédiées, on donne envie à plus d’entreprises de tenter l’aventure.
  • Miser sur le contenu local créatif. Les créateurs africains ont un atout majeur à offrir aux marques locales : leur compréhension fine du marché et de la culture. Qui mieux qu’un YouTubeur congolais peut parler aux jeunes Congolais, avec les références qu’il faut ? Qui mieux qu’une tiktokeuse sénégalaise peut intégrer en danse un clin d’œil au dernier tube mbalax du moment pour promouvoir un produit ? Cette authenticité locale, les annonceurs doivent la valoriser en confiant plus de campagnes aux talents locaux. Une stratégie gagnant-gagnant consiste à impliquer les créateurs dès la conception des messages publicitaires, pour qu’ils correspondent aux codes de leur audience. On le voit déjà : des entreprises commencent à co-créer du contenu avec des influenceurs, plutôt que de juste leur envoyer un briefing rigide. Cette flexibilité donne des résultats souvent plus percutants qu’une pub générique copiée d’un modèle étranger. En somme, encourager les marques à faire confiance à la créativité « made in Africa » des créateurs, c’est assurer des campagnes plus pertinentes – et donc pousser plus de budget vers ces créateurs.
  • Proposer des modèles de rémunération alternatifs. Tout le monde n’a pas le budget de Coca-Cola, mais une petite entreprise peut offrir autre chose qu’un gros chèque pour rémunérer un créateur. On voit émerger des partenariats innovants : par exemple du troc de visibilité (un restaurant offre des repas gratuits chaque mois à un influenceur food en échange de posts réguliers), du sponsoring en nature (une marque de vêtements fournit des tenues à une youtubeuse mode qui les présente dans ses vidéos), voire de l’affiliation (l’influenceur touche une commission sur chaque vente générée via son lien ou code promo). Ces modèles permettent aux deux parties de s’y retrouver quand le cash fait défaut. Certes, ce n’est pas de la monétisation directe, mais pour un créateur africain, cumuler quelques deals de ce type peut constituer un complément de revenu appréciable, tout en aidant les marques locales à se faire connaître sans exploser la banque. Formaliser davantage ces pratiques (avec des plateformes d’affiliation locales, des codes promo suivis, etc.) aiderait à les diffuser.
  • Inciter les grandes entreprises à inclure les créateurs locaux. Les grands groupes présents en Afrique dépensent des millions en communication, mais souvent via des agences internationales ou des campagnes globales. Une stratégie serait de militer pour qu’une part de ces budgets soit fléchée vers l’écosystème local de créateurs. Par exemple, lorsqu’une multinationale lance un produit en Afrique, qu’elle prévoie dans son plan marketing un volet influence locale, avec un budget dédié pour rémunérer des créateurs de contenu du pays. Cela commence à se faire : on a vu des opérateurs télécom en Afrique de l’Ouest sponsoriser des youtubeurs tech pour des tests de smartphones, ou des banques collaborer avec des influenceurs financiers nigérians pour toucher la jeunesse. Systématiser ces démarches via des partenariats publics-privés ou des chartes sectorielles pourrait accélérer le mouvement. Pourquoi pas un label ou un programme « Made in Africa, Promoted by Africa » qui encourage les annonceurs à engager des talents locaux dans leur com ? Avec un peu de volonté, les grandes marques pourraient devenir les mécènes modernes de la créateur économie africaine.
  • Innover dans les formats monétisables. Enfin, il ne faut pas hésiter à inventer de nouveaux moyens de monétisation mieux adaptés au contexte africain. Par exemple, exploiter la popularité des services de messagerie : en Afrique, WhatsApp est roi. Des créateurs commencent à monétiser des groupes WhatsApp VIP ou des newsletters sur Telegram pour leur communauté engagée, contournant ainsi le manque à gagner des plateformes classiques. D’autres explorent les solutions de crowdfunding ou de « tipping » (pourboires en ligne via mobile money) où les fans envoient directement de petites sommes pour soutenir leur créateur préféré. Ces modèles de paiement direct par l’audience, encore balbutiants, pourraient prendre de l’ampleur avec l’essor du mobile money et des fintech africaines. Imaginez une plateforme panafricaine où vous pouvez soutenir financièrement vos influenceurs favoris avec 100 francs CFA d’un clic : micro-dons pour macro-impact. Ce genre d’initiatives compléterait l’écosystème et offrirait aux créateurs une autre source de revenus, directement alimentée par leur base de fans locale (même modeste). En diversifiant les façons de capter de la valeur, on réduira la dépendance aux seuls budgets publicitaires classiques.

Au cœur de toutes ces stratégies, il y a une idée phare : créer des ponts entre les talents numériques et l’économie locale. Cela demande du travail de terrain, de la confiance mutuelle et parfois un changement de mentalité de part et d’autre. Les créateurs doivent apprendre à se vendre comme de vrais partenaires business, parler ROI aux entrepreneurs ; et les entreprises doivent voir les influenceurs et autres vidéastes comme plus que des amuseurs publics – comme de véritables vecteurs de croissance et d’accès à leurs clients. Quand ces deux mondes se comprennent, la magie opère (et le carnet de chèques s’ouvre, soyons concrets).

Conclusion : vers la fin de la « double peine » ?

Pourquoi la monétisation en Afrique ne paye pas encore ? Au fil de ce tour d’horizon, on aura compris qu’aucun élément pris isolément ne suffit à tout expliquer, mais que toute une combinaison de facteurs a conduit à cette situation : modèles économiques des plateformes pas pensés pour l’Afrique, annonceurs mondiaux peu présents, entreprises locales hésitantes, infrastructure de paiement incomplète… Une véritable double peine pour nos créateurs africains, qui doivent redoubler d’ingéniosité pour tirer quelques revenus là où leurs homologues d’autres continents sont grassement rémunérés presque par défaut​.

Cependant, les choses bougent. D’abord, du côté des plateformes : progressivement, elles n’auront plus d’autre choix que d’intégrer l’Afrique dans leur radar monétisation, ne serait-ce que parce que la base d’utilisateurs explose. TikTok, déjà deuxième appli sociale la plus utilisée en Afrique​, devra bien ouvrir son fonds de créateurs sur le continent si elle veut conserver ses stars locales (sous peine de passer pour radine et de voir ses influenceurs partir sur YouTube ou ailleurs). De même, Meta commence à déployer de nouvelles fonctionnalités de monétisation en Afrique – en 2024, la firme a lancé des programmes de rémunération pour les créateurs au Nigeria et au Kenya​, un signal positif pour la suite. À moyen terme, on peut imaginer que le fossé des CPM se réduira quelque peu, surtout si le pouvoir d’achat et le commerce en ligne africains continuent de croître. Un public plus aisé et plus nombreux, c’est mécaniquement des annonceurs prêts à payer plus cher pour l’atteindre.

Ensuite, du côté des annonceurs locaux, on a vu que la prise de conscience s’amorce. De plus en plus de petites entreprises osent le saut numérique, des startups intègrent direct le volet réseaux sociaux dans leur stratégie, et les grands groupes incluent des influenceurs dans leurs plans média. La route est longue, mais chaque success story d’une campagne en ligne locale est un pied de nez au scepticisme ambiant. L’appétit vient en mangeant : nul doute qu’avec quelques exemples de ROI spectaculaires, nombre de PME africaines auront envie d’essayer à leur tour, surtout si les barrières techniques tombent.

Enfin, n’oublions pas le facteur humain et créatif : les créateurs africains font preuve d’une résilience et d’une inventivité remarquables​. Privés de revenus faciles, ils ont développé le système D à grande échelle – brand deals astucieux, diversification, exportation de contenu – bref ils hustlent, comme on dit. Cette ténacité finira par payer, littéralement. À force de construire des communautés fidèles et d’apporter de la valeur, ils finiront par attirer l’argent, d’une manière ou d’une autre. L’économie de la création de contenu en Afrique est jeune, mais elle se structure : l’État s’en mêle (parfois mal comme avec des taxes trop hâtives, parfois bien en soutenant la formation), le privé s’organise, et la jeunesse regarde tout ça en se disant que, peut-être, devenir YouTubeur ou instagrammeuse peut enfin être un vrai métier qui nourrit son homme (ou sa femme).

On peut donc espérer que dans quelques années, la question « Pourquoi la monétisation ne paye pas en Afrique ? » fera sourire – un peu comme on sourit aujourd’hui en repensant au temps où Internet en lui-même était rarissime sur le continent. Les choses évoluent vite à l’ère numérique, et l’Afrique a maintes fois prouvé sa capacité à sauter des étapes (hello le mobile money plus développé qu’en Europe). Avec de la volonté et un brin de chance, les créateurs africains pourraient bien, demain, passer de la survie à la prospérité.

En attendant, ils continueront de créer, de divertir, d’éduquer et d’inspirer, souvent par passion plus que par profit. Et s’il faut conclure sur une note d’humour (noire comme un bon café africain) : gageons que la prochaine fois qu’un de nos talentueux influenceurs recevra un chèque ridicule de la part d’une plateforme, il pourra au moins en rire ouvertement – car ses revenus d’ailleurs compenseront l’avarice de l’algorithme. « Merci pour les 132 $, YouTube, je pourrai m’acheter… 0,001 % de mon billet d’avion pour Los Angeles ! » Ironie du sort, peut-être qu’un jour ce même billet d’avion sera offert par une compagnie aérienne africaine en échange d’une vidéo sponsorisée. Et là, on pourra dire que la monétisation sur les plateformes en Afrique commence (enfin) à payer. 👌

Les industries culturelles africaines : l’or sous nos pieds ?

Il y a quelque chose d’ironique à observer les chiffres des industries culturelles et créatives (ICC) en Afrique. Alors que les artistes africains captivent les scènes mondiales – Burna Boy en tête des festivals, Nollywood séduisant des millions de spectateurs, ou encore les créateurs de mode qui illuminent les podiums de Paris à New York – le continent ne représente qu’1 % de l’économie mondiale des ICC. Oui, 1 %, face à un marché de 2 300 milliards de dollars. De quoi rester songeur…

Pourtant, une lueur d’espoir se dessine. La Banque africaine d’import-export (Afreximbank) a annoncé un fonds annuel de 2 milliards de dollars pour booster les ICC africaines. Une annonce qui suscite l’enthousiasme, mais aussi une certaine prudence. Car financer est une chose, mais structurer un écosystème en est une autre.


Un secteur prometteur… mais sous-exploité

Quand on parle des ICC africaines, on pense immédiatement à la musique, au cinéma, à la mode ou encore au jeu vidéo. Ce sont des secteurs riches en potentiel, soutenus par une jeunesse hypercréative et connectée. Mais la réalité est souvent moins glamour. Malgré leurs efforts, de nombreux artistes peinent à vivre de leur talent.

Prenons Nollywood, la seconde plus grande industrie cinématographique au monde en termes de volume. Les chiffres de production sont impressionnants – environ 2 500 films par an – mais l’écosystème est fragilisé par des problèmes de distribution, un piratage massif et un manque cruel d’infrastructures modernes. Résultat : des revenus loin d’être à la hauteur du potentiel.


Les investissements, une solution ? Pas si vite…

L’annonce d’Afreximbank est un signal fort. Un investissement à cette échelle a le potentiel de transformer le secteur. Mais posons-nous une question simple : cet argent suffira-t-il à résoudre des décennies de sous-investissements ?

Premier obstacle : les infrastructures. En Afrique, rares sont les studios de production à la pointe de la technologie. Nombreux sont les artistes qui doivent s’exiler pour enregistrer dans des conditions professionnelles, ou encore les cinéastes qui doivent bricoler pour donner vie à leurs projets.

Deuxième défi : le cadre juridique. Un artiste ne peut prospérer si ses œuvres ne sont pas protégées. Pourtant, le respect des droits d’auteur reste une bataille quotidienne sur le continent. Sans parler du manque de politiques publiques adaptées, qui pourraient structurer ces industries de manière pérenne.

Troisième frein : l’accès aux marchés. Si les produits culturels africains séduisent à l’international, ils peinent encore à s’exporter à grande échelle. Les réseaux de distribution et de promotion font cruellement défaut.


Une théorie pour éclairer le débat

Là où les chiffres peinent à convaincre, la théorie offre quelques pistes. Les experts du développement économique insistent sur une approche systémique. En d’autres termes, injecter de l’argent ne suffit pas : il faut accompagner ces financements d’une véritable transformation structurelle.

L’UNESCO, dans ses rapports sur les ICC, souligne l’importance des politiques culturelles intégrées : des cadres réglementaires solides, des infrastructures adaptées et des programmes de formation pour les acteurs du secteur. Sans cela, les financements risquent de s’évaporer sans impact durable.


Le cas du jeu vidéo : une métaphore du potentiel africain

Si un secteur symbolise à la fois le potentiel et les défis des ICC africaines, c’est bien le jeu vidéo. Des studios comme Kiro’o Games au Cameroun ou Maliyo Games au Nigeria se battent pour raconter des histoires africaines à travers le gaming. Le marché est en pleine croissance, avec des revenus projetés à 1 milliard de dollars en 2024. Pourtant, les mêmes obstacles reviennent : manque de financement, difficultés d’accès aux talents qualifiés, et faiblesse des infrastructures.

Mais ce secteur montre aussi une voie à suivre. En connectant créativité locale et technologie, le jeu vidéo prouve que l’Afrique peut devenir un acteur majeur dans les ICC, si les conditions sont réunies.


Une Afrique créative, mais entravée

Alors, que retenir ? Les ICC africaines regorgent de talents et d’opportunités. Mais pour transformer ce potentiel en moteur de développement économique et social, il faut aller au-delà des financements.

Renforcer les infrastructures, protéger les artistes, structurer les écosystèmes : c’est un travail de longue haleine, mais nécessaire pour que l’Afrique prenne sa juste place sur l’échiquier mondial des ICC.

En attendant, les créateurs africains continuent de faire rayonner le continent, malgré les obstacles. Et c’est peut-être là la plus grande leçon : le talent, lui, ne demande qu’à être libéré.


Sources

  • Afreximbank : Annonce du fonds de 2 milliards de dollars pour les ICC africaines, 2024
  • UNESCO : Rapport sur les industries culturelles et créatives
  • Agence Ecofin : « Les industries créatives africaines attirent enfin les financements »
  • Forbes Afrique : « L’essor des industries créatives africaines »
  • Étude sur les ICC africaines : SFSIC et UNESCO

Faut-il se préparer à une dévaluation du FCFA ?

Tribune rédigée en 2022, alors que circulaient des rumeurs de dévaluation du FCFA

Depuis quelques semaines, une rumeur de « dévaluation subtile » du FCFA s’est propagée, suscitant curiosité et inquiétude sur les réseaux sociaux. L’argument principal avancé par les tenants de cette thèse est le suivant : la hausse continue et généralisée des prix sur les marchés, ainsi que la perte du pouvoir d’achat au Cameroun (et dans les autres pays utilisant le FCFA), seraient les conséquences d’un mécanisme visant à dévaluer insidieusement le FCFA.

À première vue, ce raisonnement paraît cohérent : en quelques mois, le prix de nombreux produits de première nécessité a considérablement augmenté. L’exemple le plus parlant est celui de l’huile raffinée, dont le litre, selon les rumeurs, est passé d’environ 1000 FCFA à 1800 FCFA. Par conséquent, avec le même budget de 10 000 FCFA, un ménage ne peut plus acheter que 5 bouteilles d’huile aujourd’hui contre 10 auparavant. Les Camerounais travaillent toujours autant – voire davantage – mais leur pouvoir d’achat diminue, ce qui s’apparente à une dévaluation de facto de la monnaie.

Pourtant, il est important de rappeler que, techniquement, la dévaluation consiste en une baisse officielle de la valeur d’une monnaie par rapport aux autres devises, décidée par l’institution en charge de sa gestion. Dans le cas du FCFA, aucune décision officielle n’a été prise par les États membres de la BEAC. On ne peut donc pas parler de dévaluation à proprement parler. On pourrait éventuellement évoquer une dépréciation, mais celle-ci concerne habituellement les monnaies en régime de change flottant, ce qui n’est pas le cas du FCFA.

La hausse généralisée des prix et la perte de pouvoir d’achat s’expliquent davantage par l’inflation galopante, qui touche également l’euro, et ce depuis la crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine.

Un bref rappel historique sur la dévaluation du FCFA

Le FCFA a été créé en 1948 pour les colonies françaises d’Afrique et était arrimé à l’ancien franc français (FF) avec une parité fixe. Jusqu’en janvier 1994, le taux de change s’établissait à 50 FCFA pour 1 FF (environ 280 FCFA pour 1 dollar US). Après la dévaluation de 1994 et le passage de la France à l’euro, cette parité est désormais de 655,957 FCFA pour 1 EUR. Cette première dévaluation officielle était une réponse à la crise économique et financière des pays membres, dont le Cameroun, frappé de plein fouet par la chute de ses exportations agricoles et pétrolières.

Aujourd’hui, l’économie camerounaise n’est pas au meilleur de sa forme, mais elle n’est pas en situation catastrophique justifiant une dévaluation. Malgré les baisses du cours du pétrole en 2015, les crises sécuritaires, sociales et politiques de 2016 et 2018, ainsi que le Covid-19 et la guerre en Ukraine, le Cameroun a maintenu un taux de croissance positif (0,7%). Le pays est parvenu à diversifier davantage son économie, et l’inflation reste, pour l’instant, sous le seuil communautaire imposé par la BEAC (c’est également le cas pour la majorité des autres pays de la zone). D’un strict point de vue économique, il est donc difficile de parler d’une dévaluation, même « subtile ».

Les arguments géopolitiques

D’autres évoquent un argument « géopolitique » : les pays utilisant le FCFA subiraient des pressions pour rembourser leur dette extérieure en devises à ceux qui orchestreraient cette dévaluation. Or, le FCFA étant arrimé à l’euro, rembourser une dette en euros revient à rembourser la dette en FCFA en valeur relative. Une dévaluation « subtile » n’aurait donc pas d’impact spécifique sur le service de la dette libellée en euros.

En revanche, la dépréciation de l’euro (et donc du FCFA) face au dollar alourdit le coût des dettes libellées en dollar. En 2022, le dollar a atteint un niveau historiquement élevé face au FCFA, rendant plus onéreux le remboursement des dettes contractées dans cette monnaie. L’euro subit lui aussi cette dépréciation, ce qui affecte la capacité des Européens à honorer certains de leurs engagements financiers. Des monnaies comme le yuan chinois ou le rouble russe se sont, quant à elles, appréciées face à l’euro, ce qui rend les échanges (et le remboursement des dettes) plus coûteux pour les pays africains.

Selon un rapport du ministère des Finances camerounais, en 2019, 76,3% de la dette publique du pays était libellée en devises, dont 29,4% en euros. À l’intérieur de ce portefeuille se trouvent également des dettes en dollars américains et en yuan chinois, certaines estimations accordant à la Chine plus de 50% de la dette bilatérale du Cameroun.

Qu’en est-il de la parité fixe ?

La véritable question soulevée par ces rumeurs pourrait donc être la suivante : la parité fixe du FCFA par rapport à l’euro reflète-t-elle toujours la réalité et le potentiel économique des pays de la zone franc ? Face à la résilience dont ces pays ont fait preuve lors des récentes crises, il est légitime de s’interroger sur l’opportunité de conserver cette arrimée ou d’envisager d’autres modalités de gestion de la monnaie.


Version originale de l’article disponible ici : https://ecomatin.net/faut-il-se-preparer-a-une-devaluation-du-fcfa2

CFA franc: Rumors of a ‘Subtle’ Devaluation—Myth or Reality?

Tribune written in 2022, at the time rumors were circulating about an FCFA devaluation

For the past few weeks, rumors of a “subtle” devaluation of the FCFA have been spreading, generating both curiosity and fear on social media. According to those who support this thesis, the continued rise in market prices and the loss of purchasing power in Cameroon (and in other FCFA-using countries) would be the result of a strategy aimed at insidiously devaluing the FCFA.

At first glance, this reasoning appears plausible: in just a few months, the price of many staple goods has risen significantly. The most frequently cited example is refined cooking oil, with the liter allegedly going from around 1000 FCFA to 1800 FCFA. Consequently, with a budget of 10,000 FCFA, a household can now only afford 5 bottles of oil instead of 10. Cameroonians continue to work just as much — if not more — yet their purchasing power is declining, which seems to suggest a de facto devaluation of the currency.

However, it is crucial to recall that, from a technical standpoint, devaluation is defined as a decision by the institution responsible for managing a currency to reduce its official exchange rate relative to other currencies. In the case of the FCFA, no such official decision has been made by the member states of the BEAC. We therefore cannot speak of a “devaluation” in the strict sense. It might be more appropriate to refer to a “depreciation,” but this typically applies to currencies under a floating exchange regime, which is not the case with the FCFA.

The generalized price increase and the loss of purchasing power can instead be attributed to rampant inflation, which has also affected the euro since the onset of the Covid-19 crisis and the war in Ukraine.

A brief historical overview of FCFA devaluation

The FCFA was created in 1948 as a common currency for French African colonies, with a fixed parity to the former French franc (FF). Until January 1994, the official rate stood at 50 FCFA to 1 FF (approximately 280 FCFA to 1 US dollar). Following the 1994 devaluation and France’s adoption of the euro, the parity was set at 655.957 FCFA to 1 EUR. This first official devaluation was implemented as a response to the economic and financial crisis affecting member countries, including Cameroon, which had been hit hard by the downturn in its agricultural and oil exports.

Today, the Cameroonian economy is not at its peak, but it is not in a crisis severe enough to justify a devaluation. Despite declining oil prices in 2015, security, social, and political crises in 2016 and 2018, as well as the Covid-19 pandemic and the effects of the war in Ukraine, Cameroon still maintained a positive growth rate of 0.7%. The country has successfully diversified its economy, and inflation remains below the community threshold set by the BEAC (the same holds true for most other countries in the zone). From a strictly economic viewpoint, it is therefore difficult to speak of a “subtle” devaluation.

The geopolitical argument

Others put forward a “geopolitical” argument: that there are hidden interests prompting FCFA-using states to pay off their external debts to those supposedly orchestrating the devaluation. However, as the FCFA is pegged to the euro, repaying debt in euros is, in relative terms, equivalent to repaying it in FCFA. A so-called “subtle” devaluation would have no specific effect on servicing euro-denominated debt.

On the other hand, the depreciation of the euro (and thus the FCFA) against the dollar makes dollar-denominated debts more expensive to repay. In 2022, the dollar reached a historically high level against the FCFA, making it costlier for Cameroonians to settle debts in USD. The euro has also experienced depreciation, reducing the ability of Europeans to meet some of their financial obligations. Meanwhile, currencies such as the Chinese yuan or the Russian ruble have gained value against the euro, thus raising the cost of transactions (and debt repayment) for many African countries.

According to a report from Cameroon’s Ministry of Finance, in 2019, 76.3% of the country’s public debt was denominated in foreign currencies, including 29.4% in euros. This portfolio includes debt in US dollars and Chinese yuan, and some estimates suggest that China holds more than 50% of Cameroon’s bilateral debt.

What about the fixed parity?

Thus, the real question behind these rumors might be: does the FCFA’s fixed parity with the euro still reflect the actual situation and economic potential of the franc zone countries? Given the resilience shown by these countries during recent crises, it may be worth re-examining the usefulness of maintaining this peg or considering alternative currency management arrangements.


Dany R. Dombou, Cameroonian economist

Original version of the article available here: https://ecomatin.net/faut-il-se-preparer-a-une-devaluation-du-fcfa2